Depuis quand créez vous et quel a été le déclic?Le déclic est survenu dans la petite enfance, feuilletant les cours généraux d'études d'agronomie-botanique d'un de mes frères. J'avais une réelle fascination pour les dessins, les planches d'anatomie traitant de la faune et de la flore, réalisés avec une grande rigueur.
Mon frère utilisait comme support de travail deux boîtiers en plastique contenant des centaines de petites fiches photo du règne animal avec un petit descriptif au verso. Je commençais à m'inspirer de ces fiches pour débuter la pratique du dessin. Une bibliothèque bien fournie sur la faune et la flore, je réalisais mes propres éditions de livres, réalistes dans le regard de l'enfant que j'étais. Je garde un souvenir marquant d'un chapitre consacré à l'histoire de l'art égyptien dans une encyclopédie "Larousse" poussiéreuse.
La pérennité et l'intemporalité des vestiges archéologiques seront des éléments non négligeables dans mon parcours artistique. C'est ainsi que naquit la passion du modelage de la plasticine, avec rigueur, je reproduisais des petites figurines égyptiennes.
Quels sont les artistes que vous aimez?Éclectique dans mes goûts de l'univers de l'art, Je suis autant fasciné par la "Vénus stéatopyge" de l'ère paléolithique, l'expressionnisme dramatique du "Retable d'Isenheim" de Matthias Grünewald que par l'univers rococo contemporain de l'artiste Kris Kuksi.
Des artistes de "chevet", puissants dans leur mode d'expression, m'ont inspiré. Par exemple les sculpteurs Michel-Ange, Rembrant Bugatti, Anish Kapoor, les céramistes Claudio Casanova, Philippe Godderidge. Ce qui est extraordinaire, c'est l'intensité avec laquelle les créateurs, artistes détournent des objets utilitaires voire anodins, naturels et les insèrent dans le contexte de leur démarche personnelle tel que Subodh Gupta et ses ustensiles de cuisine, Andy Goldworthy qui recrée une nature poétique éphémère, Yong Ho Ji qui sculpte des animaux et des humains, créatures hybrides, à partir de pneus usés.
Je partage mon temps entre ma "bulle", espace à domicile pour la réflexion et le modelage et mon atelier "ancienne écurie" chez mes parents pour l'aspect technique, cuisson. Je travaille beaucoup d'après photos, revues scientifiques et prises de vues numériques mais le choix du sujet est essentiel. Le sentiment que suscite un animal par son attitude, regard, voire l'incongruité d'une situation, vous invite à vous arrêter et lui donner une "autre vie" terrestre et minérale.
Le plus singulier pour un artiste c'est de se faire oublier qu'il est l'auteur de l'oeuvre. L'acte de création lui-même semble libérer une spontanéité qui dépouille le mental. Avec le recul, par rapport à la pièce "terminée", je suis souvent interpellé sur la nature de l'auteur véritable ou le maître d'oeuvre, comme si pendant le processus de création, je subissais une amnésie partielle. C'est très jouissif de réaliser que cet "instant perdu" est intrinsèquement lié à une énergie génésique. C'est ce qui donne, je pense, la motivation et ce besoin impérieux de traduire sans délai cet "éclairage intérieur".
Je sculpte essentiellement la terre glaise, le bronze et le plâtre. La terre, par ses qualités plastiques, se prête à la technique de la "boulette", rajoutant systématiquement des petites mottes de terre les unes après les autres. Une autre technique consiste à creuser pour ouvrir un espace pour élargir les parois de la terre. J'utilise les deux techniques pour manier avec aisance la dimension du "plein" et du "vide". Le vide se dessine comme un espace qui prolonge des volumes absents que notre perception suggère et imagine. La glaise subit une première cuisson dite "en biscuit". Le biscuit est émaillé et cuit par le procédé de cuisson du "Raku". Cette technique requiert un état d'esprit serein pour accepter les "accidents" bienheureux, effets parfois aléatoires qui apparaissent à la cuisson. Le four Raku est un maître de cérémonie qui montre la voie de la vacuité, que l'interaction humaine seule ne suffit pas à se soustraire aux éléments du feu, de l'eau, de l'air et du bois.
Parlez nous de votre vie d'artiste, des difficultés et des bonheurs que vous avez rencontrés.La vie d'artiste s'apparente à un long sentier sinueux. A chaque instant on se confronte à ses interrogations, ses doutes, au regard extérieur; on se délecte des joies, de l'enthousiasme quand nos idées coulent comme l'eau d'une cascade mais parfois, c'est plutôt la sécheresse du lit de notre esprit qui se présente, c'est ce que l'on nomme la panne d'inspiration ou encore l'angoisse de la page blanche.
Personnellement, la plus grande difficulté est de me libérer des liens du figuratif "académique" pour me rapprocher davantage d'une démarche plus contemporaine par le choix de matériaux différents. Ce rapprochement vers le contemporain sonne souvent comme un abandon, une infidélité par rapport à l'approche académique apprise lors de mes études.
Qu'espérez vous apporter aux autres au travers de votre art?Je pense qu'une sculpture, une céramique prend toute sa dimension sublimatoire dans le regard du spectateur. Pour illustrer cette pensée, je m'appuie sur une anecdote vécue personnellement : j'avais convié une amie endeuillée par la perte d'un proche à une exposition d'art animalier. Lors du vernissage, elle me dit : " Cela fait bien longtemps que je n'ai rien vu d'aussi beau.". Je n'ai jamais oublié cette petite phrase...
L'oeuvre nourrit le spectateur par ces différentes forces de partage créant ainsi un "aller-retour" entre celui qui regarde et celui qui est regardé. L'oeuvre a ses propres valeurs et le spectateur son propre regard; l'un et l'autre équilibrent la balance de cet émerveillement continu.
Où exposez vous et quels sont vos projets?Actuellement, je prépare deux expositions pour fin 2013 dans une petite galerie de Bruxelles. Une première expo sur l'art animalier et la seconde sur le conte du Petit Chaperon Rouge où je proposerai une relecture contemporaine tant dans la forme que dans le style "décalé". J'ai de nombreux anciens projets qui sont restés endormis, faute principalement du manque de connaissances techniques à l'époque.
Dans mon parcours, j'ai contourné les règles de l'enseignement académique pour m'immerger dans l'art fantastique et abandonné plus tard, jugé trop en décalage avec la vision subjective du corps enseignant. Parmi ces projets, les "Vénus Stéatopyges" et un bestiaire fantastique.
Quel est votre regard sur l'art d'aujourdhui et de manière générale, que pensez-vous de la place de l'art dans la société?On peut se faire une idée de l'art dans la société en prenant le facteur de sociabilité comme référence, un regard pertinent sur le jugement de valeur d'une civilisation, d'un pays, d'une époque donnée en observant les oeuvres artistiques. L'art est sans doute une des voies la plus authentique pour rendre intelligible les réalités et la complexité de la pensée humaine.
Quels sont les expositions récentes qui vous ont marqué?J'ai beaucoup apprécié l'exposition des "Alebrijes", de petites sculptures en bois qui représentent des animaux fantastiques ainsi que l'exposition du peintre Per Kirkeby, le photographe Jeff Wall, l'expressionniste belge Constant Permeke, le duo britannique Gilbert & George ou encore Wim Delvoye.
Quel serait le plus grand bonheur qui pourrait vous arriver en tant qu'artiste?Mon plus grand souhait est d'arriver à un équilibre entre réalisation de soi et reconnaissance notoire en gardant toujours une même envie de créer. |